8 décembre 2012

754. Maison


Ma maison de poète n'est pas située au bord d'un unique fleuve, ou montée sur pilotis, comme Trom de Morency. Elle n'est pas née trouée, comme chez Michaux, ni couverte d'ailes inutiles, comme Miror de Giguère, ni burlesque manège à défenestration, comme Crab de Chevillard. Ni observatoire, ou tour de contrôle de soi, comme Palomar de Calvino, ni confortable intellect tissé de fils de marionnette, comme Teste de Valéry. Elle est plutôt l'héritière d'un peu tout cela à la fois, fantôme de corps, de bois de songes, aux contours de siècles mal définis, mal finis, aux portes écloses et aux fenêtres exploses, vapeurs de proses. Même encabanée, repliée comme une enveloppe mal léchée, l'air y circule encore, elle est diffuse.
Les mots sont verbe, et la famille est vaste. Nous pouvons y entrer par la lucarne, ou l’égout, ou les fenêtres, ou les murs, ou même les portes. Un excès de possibilités qui n'a d'égal que les voix qui l'habitent, ou plutôt l'abritent. Et si, par mégarde, un soir, vous y rentrez bourré, vous risquez fort de ne pas savoir aux côtés de qui vous allez enfin vous réveiller.
Qui y vit trop, meurt vivant. En avançant dans cette maison de filiations, nous laissons de multiples images de nous, différentes les unes des autres, nous les revoyons ensuite dans la vapeur du passé comme des portraits de nos différents âges.
Elle dévore le présent, comme la mémoire.

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Fermeture aujourd'hui du blogue Mémoires d'outre-songe, reprise du texte intitulé « Maison ».

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